Pluie de Cendres
Il y a tout d’abord le désir d’un texte contemporain et celui d’une pièce de guerre. Il y a très vite la langue de Laurent Gaudé : fluide et douce, elle en est d’autant plus percutante, efficace. Nous trouvons là le matériau idéal pour notre désir de dire, de dire la guerre : la conviction que c’est un piège absurde.
Tous les personnages de Pluie de cendres sont pris dans ce piège où, vainement, ils se débattent pour en sortir, à la force de leur espoir – cette illusion est au fond leur seule arme.
Chacun est témoin des illusions des autres. C’est une pièce sur le regard, au sens large. Et si Korée, du haut de son promontoire, en est l’incarnation emblématique, chacun regarde le combat des autres – sans toujours le juger. Et c’est seulement lorsque son propre espoir se révèle illusoire que la mort survient.
L’espace de jeu est fermé, les comédiens n’en sortent pas : le spectateur les y verra constamment s’y débattre. En avant-scène, le camp des femmes : un chœur de poupées sur des chaises, forêts de morts, qui sont finalement les seuls à pouvoir parler au spectateur les yeux dans les yeux, par la bouche de la choryphée, cette « femme multiple » qui raconte la guerre au public. L’utilisation par les comédiens des différentes hauteurs de l’espace scénique renforce ce travail sur le regard. Au point le plus haut, Korée est témoin de tout.
Sur cet espace, afin d’accentuer l’impression d’enfermement, seul ce qui se passe dans la ville sera représenté. En fond de scène, un vaste écran blanc où sont projetées les images du dehors, de ce qui se passe à l’extérieur de la ville assiégée : la course de Menda vers celle-ci ouvre la représentation avant même l’apparition du premier comédien sur la scène. Quant au personnage d’Argo, il est hors de la réalité du combat (à l’exception d’Ajac, d’ailleurs, aucun autre personnage ne le voit) : son errance est donc, elle aussi, mise en image.
La musique est en élément essentiel du spectacle : personnage ou commentaire, elle soutient l’action, accompagne combats et espoirs. A la fois douce et omniprésente, elle emporte le spectateur dans un univers quasi cinématographique, où les émotions sont des sensations palpables. La présence du musicien sur le plateau rend cette musique vivante et dynamique. Elle dialogue avec les comédiens, les écoute, leur répond ou les entraîne, plus qu’elle ne les accompagne. Musicien et comédiens s’écoutent et s’observent.
Le travail du regard est l’axe essentiel de l’interprétation des comédiens. Il s’agit de trouver à qui adresser chaque mot, afin que le texte soit concret, parfaitement entendu. Que par la bouche et les yeux du comédien, le texte prenne toute sa chair.
Nous voulons faire entrer le spectateur de plein fouet dans ce jeu de regards : pour qu’il suive chaque personnage dans sa vaine quête et ressente ce piège de la guerre, qu’il en regarde l’absurdité.
Auteur : Laurent Gaudé.
Mise en scène : Frédéric Vern.
Interprétation : Camille Chauvin, Rémi Labrouche, Aurore Leriche, Franck Montauzon, Camille Pélisson, Frédéric Vern, Daniel Villattes, Franck Warryn.
Scénographie, costumes : Valérie Chéneau.
Vidéo : Franck Montauzon.
Lumière : Pierre Martigne.
Décor : Laurent Chéneau.
Création musicale et interprétation (piano) : Benjamin Vern.